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Plantes et changement climatique : des interactions complexes

Publié par Revue ESPÈCES, le 3 septembre 2024   1.2k

Image de couverture : Forêt boréale de Gaspésie (Canada, cliché C. Breton).


Auteure

Christine Dabonneville, professeure agrégée de sciences de la vie et de la Terre

Cet article est issu du numéro 18 d'Espèces - Décembre 2015 - Janvier 2014 avec l'aimable autorisation de l'auteure. Je m'abonne !

Depuis le début de l’ère industrielle (1850), la température terrestre moyenne a augmenté d’environ 1,1 °C, mais ce réchauffement sans précédent est un phénomène complexe : de nombreux facteurs physiques et biologiques en sont responsables et en tout premier, l’homme. Aucun scientifique sérieux ne peut réfuter l’origine anthropique de cette hausse anormale des températures. En effet, les nombreuses activités humaines libèrent dans l’atmosphère des gaz à effet de serre (GES) – et en particulier du CO2 – qui renvoient vers le sol les rayons infrarouges* émis par la surface terrestre. Cependant, les végétaux sont aussi acteurs dans ce dérèglement climatique, de façon directe ou indirecte, positive ou négative, et avec un effet boomerang du réchauffement sur leurs actions : plantes et climat sont étroitement liés.

Les plantes au cœur du cycle du carbone

Rappelons d’abord que les émissions anthropiques* de CO2 sont indirectement dues à l’existence du monde végétal : les activités industrielles et les transports utilisent des combustibles fossiles c’est-à-dire des roches carbonées formées à partir de végétaux morts dont l’enfouissement dans un milieu anaérobie* a empêché la décomposition complète ; de même, la déforestation, qui brule la végétation et réduit donc l’amplitude du processus général de photosynthèse absorbeur de CO2, contribue à l’augmentation des GES.

Si l’on compare les quantités de CO2 libérées par les activités humaines et celles accumulées dans l’atmosphère, on constate que les valeurs sont différentes : seuls 45 % des rejets anthropiques de CO2 se retrouvent effectivement dans l’air. Où sont donc passés les 55 % qui manquent ? La réponse se trouve sur terre et dans la mer. Environ 30 % sont pompés par les océans, principalement par des processus physico-chimiques (dissolution, précipitation sous forme de calcaire), et 25 % par les continents. C’est là que les végétaux entrent de nouveau en jeu, et ceci de façon directe et positive puisqu’ils absorbent une partie du CO2 rejeté et tempèrent ainsi le réchauffement climatique. Jusqu’à un certain seuil, le CO2 stimule l’activité photosynthétique. Son augmentation depuis 1850 (près de 43 % : de 280 ppm* à 400 ppm en 2014) fait que les arbres captent plus de CO2 et stockent plus ou moins durablement le carbone. Ils sont donc actuellement des puits de CO2.

Cycle du carbone avant 1850. Valeurs en gigatonnes (Gt) de carbone par an. (Documents C. Dabonneville/Infographie A. Rafaelian).

Des interactions d’une très grande complexité

Et les végétaux n’agissent pas uniquement sur le climat par l’intermédiaire des GES, ils peuvent aussi avoir un effet local, rafraichissant ou réchauffant, en intervenant sur le rayonnement solaire ou le taux d’humidité ambiant. Les plantes émettent de nombreux composés organiques volatils (ou COV) dont certains, en servant de noyaux de condensation, favorisent la formation des gouttes d’eau à l’origine des nuages. Ces derniers, qui se développent principalement au-dessus des forêts, sont comme des parasols qui renvoient vers l’espace les rayons du soleil : ils ont un pouvoir réfléchissant (ou albédo) élevé. Comme cette émission de COV augmente avec la température, l’effet rafraichissant des parasols gazeux devrait s’accentuer dans les années à venir, peu dans les zones chaudes (tropicales et équatoriales) où le rejet doit déjà être à son maximum, mais plutôt dans les régions boisées de l’hémisphère nord : jusqu’à 30 % de réduction du réchauffement d’après l’étude réalisée sur ce sujet en 2014. À cette action rafraichissante se rajoute celle liée à l’évapotranspiration : sous l’effet de la chaleur, les plantes et le sol transpirent, libérant de l’eau qui prélève l’énergie nécessaire à sa vaporisation dans la chaleur ambiante. Cependant, l’effet rafraichissant des forêts boréales par “parasols” ou “nébuliseurs” interposés pourrait être contrecarré par l’effet réchauffant direct des arbres. Une zone boisée forme une surface sombre, à faible albédo, qui absorbe donc une grande partie du rayonnement solaire incident et le réémet ensuite sous forme de chaleur ; l’inverse se produit avec un nuage blanc, à fort albédo. De fait, en tenant compte de l’évapotranspiration et de l’albédo des forêts, ainsi que des variations saisonnières, le bilan rafraichissant sur l’année est nettement positif pour les forêts tropicales, un peu moins pour les forêts tempérées, il est négatif pour les forêts boréales. Les nombreux paramètres entrant en jeu ajoutent encore à la complexité des interactions entre climat et végétation, et si, aujourd’hui, les plantes ont globalement une action modératrice sur le réchauffement climatique, cette action pourrait rapidement s’estomper. En effet, l’accroissement du taux de CO2 atmosphérique et de la température stimule la photosynthèse, mais jusqu’à un certain seuil au-delà duquel l’effet devient négatif. Déjà, on constate depuis quelques années une stagnation, voire une diminution de la capacité des puits de CO2 aussi bien océaniques que continentaux. La forêt amazonienne en est un exemple : une étude menée depuis 1983, consistant à évaluer la quantité de CO2 absorbé par les végétaux, montre que cette absorption a diminué durant la dernière décennie : les taux d’augmentation nets de la biomasse aérienne ont baissé d’un tiers par rapport à ceux des années quatre-vingt-dix. Le responsable est l’augmentation de la teneur de l’air en CO2 qui a accéléré le cycle de vie des arbres : ils croissent plus vite, mais ils meurent plus vite aussi. D’où une décomposition plus importante de bois mort entrainant un rejet plus important de CO2.

Cycle du carbone aujourd'hui (2010)

Bloom, concentration de phytoplancton en mer de Barents (cliché J. Schmaltz-NASA/Creative Commons)

Le phytoplancton, une pompe à CO2 ?
Les microalgues marines ou phytoplancton représentent une biomasse importante dans les océans et leur activité photosynthétique est donc élevée. Elles utilisent le CO2 dissous pour produire leur matière organique et, pour certaines, leur coquille calcaire. Le phytoplancton étant à la base de la chaine alimentaire océanique, ces algues sont donc surtout “broutées” par le zooplancton : le CO2 initialement absorbé est rejeté par la respiration. Moins de 1 % du carbone du phytoplancton se retrouve au fond des océans et est soustrait au recyclage : la “pompe biologique” océanique est donc très faible. De plus, le CO2 ayant une forte solubilité, sa teneur dans les océans permet une photosynthèse maximale, à la différence de ce qui se passe sur les continents. L’effet “puits de CO2” des océans est donc principalement dû à la dissolution du CO2 atmosphérique, mais ce phénomène diminuant avec l’augmentation de la température de l’eau, cette “pompe physique” risque de se gripper dans les années à venir avec le réchauffement des océans.

Un rôle accélérateur du réchauffement au cours de ce siècle ?

D’ici 2100, les évolutions possibles des capacités modératrices de la végétation sur le réchauffement ne sont pas optimistes. En considérant le scénario d’une augmentation de plus de 2 °C d’ici la fin du siècle, une étude parue en 2015 est arrivée à la conclusion que, par an, le nombre de jours de croissance des plantes diminuerait de 11 % sur l’ensemble du globe, ce qui ferait disparaitre l’effet tampon de la végétation sur le réchauffement climatique. Dans le détail, les prévisions sont contrastées : les régions tropicales seraient les plus touchées, avec près de 55 % de jours de croissance perdus, alors que les pays proches des pôles, comme la Russie, la Chine et le Canada, devraient au contraire gagner en jours de croissance grâce à une réduction des jours de gel. Cette dernière prédiction, qui favoriserait l’agriculture, risque de ne pas inciter les gouvernements de ces pays, aujourd’hui parmi les plus gros émetteurs de GES, à faire des efforts pour diminuer leurs émissions.

Le projet de la COP21, établi en 2015, de limiter l’augmentation de la température d’ici 2100 à moins de 2 °C semble aujourd’hui difficilement atteignable. Or, si la température augmente trop, la végétation continentale ne se comportera plus comme un puits de CO2 et l’accroissement de la quantité de CO2 dans l’atmosphère va s’amplifier, entrainant avec elle la hausse de l’effet de serre et donc de la température : d’où une diminution de la photosynthèse, c’est-à-dire de l’absorption du CO2. C’est le serpent qui se mord la queue et cette rétroaction positive de la végétation sur le réchauffement climatique risque d’emballer le système : attention, chaud devant !

Lexique

Émissions anthropiques : émissions de GES dues aux activités humaines (transports, industries, agriculture, etc.).

Milieu anaérobie : milieu dépourvu d’oxygène moléculaire (O2), ce qui empêche un certain nombre de processus biologiques, notamment la respiration, et en restreint d’autres.

ppm : parties par million (1 ppm = une particule pour un million).

Rayons infrarouges : rayonnement électromagnétique (lumière) dont la longueur d’onde est supérieure au rouge, et donc invisible à l’œil nu. Plus un corps est chaud, plus il émet des infrarouges.

Pour en savoir plus

Brienen R. J. W. et al., 2015 – “Long-term decline of the Amazon carbon sink”, Nature, 519, p. 344–348 (Doi : 10.1038/nature14283).

Mora C. et al., 2015 – “Suitable days for plant growth disappear under projected climate change: potential human and biotic vulnerability”, PLoS Biology, 13(6) (Doi : 10.1371/journal.pbio.1002167).

Yan Li et al., 2015 – “Local cooling and warming effects of forests based on satellite observations”, Nature Communications, 6, 6603 (Doi : 10.1038/ncomms7603).