Musée de Terra Amata

Publié par Bertrand Roussel, le 22 novembre 2017   2.8k

Le musée préhistorique de Terra Amata entre dans le XXIe siècle

 

L’année 2016 a marqué le 50e anniversaire de la fouille du site paléolithique niçois de Terra Amata et le 40e anniversaire de l’ouverture au public du musée de Préhistoire. Pour célébrer ce double anniversaire, l’établissement a fermé ses portes pour travaux, durant quatre mois, afin de se transformer pour offrir une muséographie réactualisée intégrant les dernières découvertes et proposant aux visiteurs un parcours muséographique interactif et ludique. Cette nouvelle présentation expose la vie des premiers Niçois au sein de leur environnement ainsi que la première grande révolution de l’Humanité : la domestication du feu.

 

Le site préhistorique de Terra Amata a vécu une longue histoire riche en rebondissements. Au milieu du XIXe siècle déjà, une molaire de rhinocéros et des restes d’éléphants préhistoriques sont découverts à proximité de la propriété de Terra Amata qui sera lotie près d’un siècle après pour y construire plusieurs immeubles. Tant et si bien qu’en 1958, des coupes visibles dans un chantier abandonné suscitent l’intérêt des géologues qui remarquent la présence de restes d’animaux fossiles et d’outils préhistoriques. Il faut cependant attendre l’année 1965, avec la reprise des travaux de terrassement en vue de la construction d’un immeuble, pour que le site de Terra Amata soit entièrement révélé par un jeune préhistorien, Henry de Lumley, lors d’une prospection sur le chantier. Après d’âpres négociations avec le promoteur, les travaux sont arrêtés et une fouille de sauvetage commence le 28 janvier 1966, sous la direction de Henry de Lumley, alors jeune chercheur au CNRS. Le chantier devait, dans un premier temps, durer un mois. Compte tenu de l’importance des découvertes, il sera prolongé et ne s’achèvera que le 5 juillet 1966. Un travail considérable est réalisé : près de 210 m3 de terre remués au pinceau et à la truelle sur une surface de 120 m2, 26 niveaux d'habitat dégagés, plus de 28 000 objets coordonnés en x, y et z, puis reportés sur plan, 90 m2 de sols archéologiques moulés, 9 000 photographies prises et 1 200 m² de coupes levées. Le retentissement international de la fouille et des découvertes trouve son écho dans le livre Terra Amata du romancier niçois Jean-Marie Gustave Le Clézio, lauréat du prix Nobel, paru en 1967, chez Gallimard.

 

Au vu de l'importance scientifique et patrimoniale des découvertes effectuées à Terra Amata, la Ville de Nice décide de créer un musée de site consacré au gisement. Le musée municipal de Paléontologie Humaine de Terra Amata est ainsi inauguré le 16 septembre 1976. C’est alors le premier « musée de site », consacré à la Préhistoire, ouvert sur le territoire national. Il reçoit d’ailleurs, en 1977, le prix du « Musée de l’année », pour la France.

 

Quarante ans plus tard, le musée n’a presque pas changé. Il conserve, sur place, les traces laissées par les premiers Niçois, il y a 400 000 ans mais sa présentation est aujourd’hui un peu obsolète et passablement vieillotte. L’année 2016 marquant le 50e anniversaire de la fouille du site et le 40e anniversaire de l’ouverture au public du musée, c’est une bonne occasion de le rénover pour offrir aux visiteurs une vision renouvelée du site de Terra Amata dans le cadre d’une scénographie contemporaine intégrant de nouveaux outils numériques.

 

Une mise à jour scientifique

Il est bien évident qu’en quarante ans la recherche préhistorique a réalisé d’énorme progrès. Malgré quelques ajouts et correctifs divers, le programme muséographique de Terra Amata n’avait jamais été entièrement repensé. Il convenait donc d’intégrer les dernières découvertes effectuées à Terra Amata en les mettant en perspective avec l’évolution de notre vision des hommes de la Préhistoire. En effet, depuis la fouille du site, de nombreuses recherches ont été conduites à partir des collections et de la documentation de la fouille, dans le cadre de travaux universitaires ou par des équipes pluridisciplinaires. Depuis dix ans, un programme de publication de la monographie du site a été mis en place, sous la direction du professeur Henry de Lumley afin d’éditer un tome tous les deux ans. Le cinquième, et dernier tome, vient d’ailleurs de sortir, cette année, chez CNRS Éditions. Ce vaste travail de recherche a été la base d’une refonte du programme muséographique qui a permis de transformer en profondeur l’organisation thématique des espaces pour améliorer la cohérence de la présentation des collections. Sont ainsi évoqués l’environnement de ces hommes, qui chassaient des rhinocéros dans les marais du fleuve Paillon, durant une période tempérée de type méditerranéen, leur outillage avec notamment les célèbres bifaces, mais aussi leurs habitats successifs qui étaient constitués de cabanes en bois. Autour du grand moulage d’un des sols du site, de nouveaux dispositifs muséographiques ainsi qu’une présentation renouvelée des collections sont aussi proposés au public.

 

Une scénographie renouvelée

Le grand moulage du sol archéologique DM (UA DA4), qui permet de découvrir l’un des vingt-six niveaux archéologiques du site sur plus de 70 m2, fait partie de l’identité du musée. Il en constitue même, en quelque sorte, son ADN. Il n’était pas question de le transformer ou de le supprimer bien que sa présence marque profondément l’identité visuelle du lieu. Ainsi, tout autour de lui, l’ensemble des autres éléments scénographiques ont été modifiés, sur les deux niveaux, afin de créer de nouveaux espaces. Cette nouvelle présentation originale a été confiée à Kristof Everart pour la scénographie et à Marcel Bataillard pour l’identité graphique. Il s’agissait de développer une proposition visuelle à la fois élégante et résolument contemporaine, tout en conservant une approche scientifique et ludique. Les deux niveaux du musée ont pu bénéficier des ces améliorations qui ont permis une modernisation des espaces mais également de la présentation des collections. Ainsi, les objets ont pu être soclés par l’atelier François Ourth. De plus, les vitrines ont été entièrement repensées afin d’améliorer la lisibilité de la présentation des collections. Par ailleurs, une baie vitrée permet maintenant aux visiteurs de découvrir les magnifiques réserves du musée pour constituer un trait d’union entre la présentation des collections au public et leur conservation mais également le monde de la recherche.

 

Préhistoire et nouvelles technologies

Il y a 400 000 ans, les hommes de Terra Amata entretenaient les premiers foyers, manifestant ainsi les prémices de la domestication du feu par l’Homme. Il s’agissait alors d’une technologie de pointe ! Il convenait donc de rendre hommage à ces premiers Niçois « high-tech » en offrant à leur musée des présentations modernes. Ainsi, le nouveau musée propose des dispositifs audiovisuels et numériques permettant une approche renouvelée des collections. Les chercheurs qui ont étudié le site et le matériel archéologique sont ainsi présents par le biais de grands écrans permettant de les voir en taille réelle et de suivre leurs explications. Dans les espaces consacrés à l’outillage de pierre, des films, tournés avec un expérimentateur spécialisé dans la taille des industries lithiques préhistoriques, Olivier Notter, nous proposent de découvrir les modes de fabrication des objets présentés en vitrine. Cette approche dynamique permet d’appréhender les « chaînes opératoires » techniques, parfois complexes, mises en œuvre par ces hommes, il y a 400 000 ans, pour réaliser leurs outils. Des systèmes holographiques complètent également la présentation des éclats qui « remontent » sur certains nucléus donnant ainsi au public une meilleure compréhension de ces pièces archéologiques. Enfin, au rez-de-chaussée, un dispositif interactif, conçu par la société Edikom, accompagne la découverte du grand moulage du sol DM (UA DA4). Pour réaliser cette console, le moulage a été numérisé et modélisé en 3D. Le modèle numérique ainsi généré permet de découvrir le sol, sous tous les angles, et de comprendre les différentes activités qui y ont été pratiquées par les hommes préhistoriques.

La visite du musée se termine par une œuvre d’art vidéo, réalisée par Lucie Pagès et produite par le centre de création artistique audiovisuelle l’Éclat, qui évoque le feu dans ses dimensions sensorielles en mettant en parallèle le travail du feu par l’homme, depuis sa domestication, avec sa forme la plus pure, le soleil. Cette intervention d’un artiste contemporain constitue un écho aux collections préhistoriques, pour inscrire le musée dans une dimension novatrice, où art et science se complètent pour proposer au public une vision renouvelée des collections archéologiques et faire entrer ce site 400 fois millénaire dans le XXIe siècle.