Marseille il y a un million d’années : un jardin d’Eden ?
Publié par OSU Institut Pythéas - Membre du Réseau Culture Science Sud, le 6 septembre 2024 180
Il y a 1 Ma (million d’années), une vague migratoire venue de l’est et comportant des hommes (des homo erectus) et des animaux (des grands mammifères), déferlait sur la rive nord-méditerranéenne avec pour objectif la conquête de nouveaux territoires. À cette époque, les écosystèmes qu’ils visaient pour assurer leur survie étaient des milieux humides, de véritables oasis de vie et de nourriture potentielle au sein d’un environnement méditerranéen globalement aride. Le tuf de Marseille avec sa diversité écologique, ses plantes comestibles dont des proto-céréales, des fruits et des herbacées, et sa ressource en eau, fut un site favorable à l’accueil de cette dynamique migratoire.
Une étude multidisciplinaire impliquant le CNRS Terre & Univers (voir encadré), sur des tufs calcaires fluviatiles proposent une reconstruction du paléoenvironnement de Marseille au début du Pléistocène, il y a 1 Ma. Les mesures paléomagnétiques ont permis d’identifier l’inversion magnétique de Jaramillo et de dater le tuf de Marseille entre 1,06 et 0,8 Ma. Les données sédimentologiques montrent l’existence d’un environnement de dépôt varié comprenant des barrages naturels formés par des accumulations de plantes stabilisées par des précipitations de carbonate, favorisant ainsi le développement de plans d’eau en amont bordés de marécages. Les rapports isotopiques du carbone indiquent que les tufs de Marseille ne sont pas des travertins1 mais sont associés à des sources et écoulements d’eau froide. Les reconstructions climatiques basées sur les données polliniques indiquent un climat légèrement plus frais (surtout en hiver) et plus humide que l’actuel.
Les analyses de pollens fossiles indiquent un paysage végétal semi-arboré, diversifié, en mosaïque, dominé par une forêt méditerranéenne de pins et de chênes avec du hêtre, du sapin, et de l’épicéa, des espèces à présent rares ou qui ne poussent plus à basse altitude en Provence en raison de l’occupation humaine essentiellement. La présence du châtaignier est inattendue en milieu calcaire, mais cet arbre pouvait pousser sur les argiles décarbonatées de l’Oligocène qui affleuraient partout dans le bassin de Marseille. Le long des cours d’eau, la forêt riveraine était diversifiée et comprenait des noyers et des platanes, comme c’est le cas de nos jours en Méditerranéen orientale, et des arbres comme l’aulne, le saule, le noisetier et le frêne. Le régime alimentaire potentiel des premiers homininés, que nous avons reconstitué à partir du pollen et des macrorestes végétaux, était varié et comprenait les fruits du châtaignier, du noisetier, du noyer, des Rosacées arborescentes comme différentes espèces de pruniers ou de pommiers. Des restes de vigne ont également été trouvés qui montrent que les raisins participaient déjà à la diète alimentaires des frugivores dont les homininés. Parmi les nombreuses herbes comestibles identifiées, il faut signaler les Composées qui comportent de nombreuses salades, des orties ou la mauve, une plante particulièrement appréciée en Afrique du Nord.
Les populations d’homininés pouvaient potentiellement se nourrir des ressources de la mer, diversifiées à l’époque, et des ressources terrestres, dont des grands herbivores. La découverte la plus surprenante est la présence de pollen de céréales (des proto-céréales en raison de leur ancienneté) dont le seigle qui a pu être identifié. Ces proto-céréales, qui poussaient au sein du cortège d’herbacées steppiques, pouvaient substantiellement enrichir en hydrate de carbone la diète alimentaire des mammifères (dont les homininés) qui fréquentaient le bassin de Marseille il y a un million d’années. Le bassin de Marseille est le troisième site après ceux d’Acigol et de Kocabas (Andrieu-Ponel et al., 2021), dans le sud-ouest de l’Anatolie, à montrer la présence de pollen de proto-céréales bien avant le début du Néolithique il y a 12 000 ans. L’identification de spores de champignons coprophiles montre la présence in situ de troupeaux de grands herbivores. Il est possible que, comme en Anatolie, la perturbation des écosystèmes par les grands herbivores soit à l’origine de la mutation génétique des Poacées et de l’apparition des céréales. Ces sites montrent que les populations humaines ne sont pas à l’origine de l’apparition des céréales, mais qu’il s’agirait plutôt d’un processus naturel lié aux interactions biotiques entre les populations de grands herbivores et les écosystèmes steppiques.
Au Néolithique, l’Homme, devenu agriculteur par nécessité de fait de la réduction de la faune mammalienne, aurait cultivé des plantes comestibles qui préexistaient au sein des écosystèmes herbacés. Cette nouvelle découverte de proto-céréales nécessite une nouvelle vision de l’histoire de la nutrition humaine comme suggéré antérieurement (Andrieu-Ponel et al., 2021).
Valérie Andrieu, Enseignante-chercheuse à l’Université d’Aix-Marseille du Centre européen de recherche et d’enseignement de géosciences de l’environnement (CEREGE – OSU Pythéas)