L’océan est-il encore un monde sauvage ?
Publié par Echosciences Sud Provence-Alpes-Côte d'Azur, le 24 février 2025 87
A Marseille, trois laboratoires travaillent sur le projet de recherche PRESHUMER. Ce projet expérimental et interdisciplinaire questionne l’impact de la présence humaine dans le monde sous-marin, et plus particulièrement du littoral marseillais.
L’océan aujourd’hui : du rêve à la réalité
Nos représentations du monde marin ont évolué au fil des siècles. En se penchant sur les cartes médiévales, il n’est pas rare d’y voir représenté sur le bleu des mers et océans toutes sortes de créatures mythiques, sirènes, chimères et autres monstres marins, peuplant les eaux profondes et inspirant un sentiment de danger. Ces représentations ont changé et aujourd’hui, nos cartes ne présentent plus les mondes marins que comme une large zone bleue ou blanche, zébrée de courbes de niveau indiquant les profondeurs. Bien souvent, lorsque l’on pense à ce monde marin, les images qui nous viennent correspondent à ces nouveaux tracés. Des images d’une immensité bleue, le plus souvent calme, et sous laquelle un nombre incalculable d’êtres vivants s’épanouissent librement. Ce territoire leur appartient et les humains y sont étrangers.
Pourtant, si l’on y prête attention, on retrouve de nombreuses traces de vie humaine qui perturbent cet environnement. S’agissant aussi bien des activités humaines que de leurs rejets.
À ce jour, la pollution plastique générée par nos modes de consommation a entraîné la formation d’un septième contient d’1,6 million de km². Ces déchets aux tailles variées, ne représentent parfois que quelques nanomètres et sont présents partout, de nos côtes littorales jusqu’à la fosse des Mariannes à plus de 10 000 m de profondeur. Nos activités impactent également la biodiversité. Des côtes littorales urbanisées aux installations offshores des parcs éoliens et des plateformes pétrolières, la bétonisation des milieux naturels détruits des habitats et entraîne la délocalisation voire la disparition d’une part de la faune et de la flore locale. On parle là de « pression anthropique ». Autrement dit des perturbations, d’origine humaine, qui entrainent des dommages ou la perte de composants d’un écosystème.
Ce type de pression peut prendre des formes diverses. Chaque jour, quelques centaines de milliers de bateaux traversent mers et océans, y produisent des déchets et y rejettent des émanations de CO² dues à la consommation de fioul. Ils produisent également une pollution sonore par le bruit des moteurs et des sonars, et certains impactent directement la biodiversité par la surpêche. Au plus proche des villes, les pressions sont fortes avec le rejet à la mer des égouts et le ruissellement des polluants dans la mer. Certaines pressions sont plus difficiles à percevoir comme avec la propagation d’espèces envahissantes ou encore tous les bouleversements apportés par le changement climatique !
Preshumer, un projet qui questionne ces impacts et travaille à les représenter
À Marseille, le projet de recherche pluridisciplinaire PRESHUMER – pour Perception de la présence humaine dans le monde sous-marin - regroupe océanographes et anthropologues du Centre Norbert Elias (AMU / Avignon Université / CNRS), de l’Institut méditerranéen d’Océanologie – MIO (AMU / CNRS / IRD / Université de Toulon) et de l’Observatoire des Sciences de l’Univers – Institut Pytheas (AMU / CNRS / INRAE / IRD). Ensemble, ils travaillent autour des interactions entre les humains et les mondes vivants sous-marins sur le littoral marseillais, et questionnent la perception et la représentation de la présence humaine dans le monde sous-marin. Pour aborder ces questions, la cité phocéenne est un excellent terrain de jeu pour les scientifiques. Située sur la rive nord de la Méditerranée, elle possède le premier port industriel et commercial de France. Au sud de la ville se trouve le Parc National des Calanques, une zone naturelle protégée au passé invisible de site pour l'industrie chimique et métallurgique. Dans d’autres, comme la calanque de Cortiou, les eaux usées y sont rejetées par le réseau du tout à l’égout.
Dans ce cadre, l’équipe de recherche travaille à représenter les interactions entre l’homme et les autres espèces vivantes. Pour cela, ils n’hésitent pas à mouiller la chemise et partent faire des relevés à la fois d’images et de sons tout autour de ce territoire, du littoral à la pleine mer. Sur différentes profondeurs, ils observent l’environnement, le décortiquent et analysent les traces visibles et invisibles laissées par l’être humain. Ils développent une grille de lecture afin de permettre une meilleure compréhension de ce qui porte ou non les traces des pressions humaines.
Les recherches sont toujours en cours, mais un film, en cours de réalisation, vise à immerger le public dans l’espace sous-marin. Plans filmés, images et prises de son l’inviteront à se questionner sur la présence ou non de l’humain dans le milieu sous-marin et permettront de se rendre compte de la difficulté de bien se représenter sa présence ou non. Le tapis d’algues ondulant sur les rochers pourrait-il être une espèce invasive ? Le banc de poissons frétillant de la calanque de Cortiou viendrait-il en vérité se nourrir aux sorties d’égouts ? Les friches industrielles du littoral libéreraient-elles des résidus pollués ? La manière dont on perçoit le monde sous-marin évolue. Pour accompagner cette évolution, Préshumer expérimente de nouvelles représentations audiovisuelles de cet espace, pour rendre nos interactions avec les différentes formes de vie marine plus visible. Le monde-marin n’est pas un monde sauvage exempt de la présence humaine et ce projet de recherche permet d’engager une réflexion qui, peut-être, s’accompagnera d’une prise de conscience sur le sujet.
Articlé rédigé par Léna Gauthier, médiatrice scientifique chez Gulliver, à partir du travail réalisé par Simon Rondeau @Melvak, vulgarisateur scientifique, pour le programme des vidéos echoscientifiques (saison 6).