Du monde professionnel à la thèse : Portrait de Jérémy BAUDIER, doctorant militant
Publié par EHESS - Campus Marseille, le 8 février 2022 860
Parmi les contrats doctoraux co-financés par la Région Sud en juillet 2021, Jérémy Baudier - éducateur spécialisé de formation - a intégré la formation doctorale Sciences sociales - Marseille pour un projet de thèse consacrée aux collectifs militants qui accompagnent des mineurs non accompagnés dans la Région Sud et les relations que ces collectifs bénévoles entretiennent avec les institutions (direction Valeria Siniscalchi / Centre Norbert Elias).Rencontre :
Un parcours personnel
Après une formation initiale d'éducateur spécialisé (2010-2013) à Nancy, Jérémy Baudier a entrepris une licence de psychologie (2014/2015) puis travaillé comme éducateur spécialisé (à Nancy et à Marseille) pendant plusieurs années. Il a notamment beaucoup exercé avec des mineurs non accompagnés et des migrants mineurs sans représentants de l'autorité parentale sur le territoire national.
Cela l'a amené à questionner les cadres de l'accompagnement au sein de la protection de l’enfance, l'évolution de ce champ et la réalité des professionnels sur le terrain.
Face à des contraintes allant à l’encontre des valeurs qu’il associe à cette profession, il a fait le choix de quitter le monde professionnel pour se rapprocher d’associations militantes notamment Réseau Education Sans Frontière et les Etat Généraux des Migrations.
Jérémy Baudier a, par la suite et en parallèle de ses activités militantes, décidé de reprendre un cursus universitaire pour effectuer une licence de sociologie (Université de Nancy) et a ensuite intégré la mention de master "Recherches comparatives en anthropologie, histoire, sociologie" de l'EHESS à Marseille (2019/2021). Son mémoire de Master portait sur les pratiques professionnelles des travailleurs sociaux qui accompagnent les mineurs non accompagnés (et plus précisément au sein des services départementaux de protection de l'enfance).
Cela l'a conduit à proposer un sujet de thèse pour lequel il a été sélectionné afin de bénéficier d'un contrat doctoral cofinancé par l'EHESS et à 90% par la Région Sud (dans le cadre du dispositif "Emploi jeunes doctorants"), pour mener son travail de recherche sur 3 ans, projet ainsi entamé en novembre 2021.
Un projet de thèse singulier
Avec pour titre : "Entre institutions, associations mandatées et collectifs bénévoles et militants : quels accompagnements pour les mineurs non accompagnés dans la région Sud ?"*, le coeur du sujet de Jérémy Baudier concerne plus spécifiquement les jeunes qui se déclarent mineurs non accompagnés et qui ne sont pas pris en charge par les institutions.
Le travail de Jérémy Baudier part de l'enjeu de l'évaluation de la minorité des jeunes et le temps entre le moment où ils sont "enregistrés" par les institutions et leur prise en charge effective en tant que mineurs non accompagnés (missions des départements). En effet, dans plusieurs départements, la saturation des dispositifs de protection de l’enfance ne permet pas une mise à l’abri « en urgence » ; et les jeunes qui se déclarent mineurs non accompagnés doivent patienter plusieurs semaines avant de bénéficier d’une prise en charge institutionnelle. Isolés et sans ressources, ils peuvent alors rencontrer une période d’errance et vivre « à la rue ». De même, des jeunes qui se déclarent mineurs et qui sont évalués majeurs peuvent réaliser un recours auprès du juge des enfants. Cependant ils ne sont ni pris en charge par la protection de l’enfance quand ils sont évalués majeurs, ni dans les dispositifs d’hébergement d’urgence pour majeurs puisqu’ils se déclarent mineurs. C’est dans cette « zone grise » du maillage institutionnel qu’interviennent des collectifs bénévoles pour accompagner ces jeunes.
Les missions de protection, dévolues à l’institution, sont alors réalisées par des acteurs bénévoles et militants dont l’action semble soulager les professionnels du social qui, face au manque de possibilités, peuvent orienter ces jeunes vers les collectifs bénévoles au cours cette période de latence.
C'est précisément l'interstice de ce paradoxe du système en surchauffe que Jérémy Baudier souhaite investir pour son travail de thèse.
Faire de la recherche pour défendre les valeurs d'un métier
Travailleur social de formation, Jérémy Baudier a à cœur d'approfondir ses connaissances sur les dynamiques - au demeurant complexes - de l'accompagnement social des jeunes non accompagnés. Il souhaite continuer de défendre les valeurs d'un métier qui l'anime, mais qui - force est de le constater - se délite car soumis aux principes de la rationalisation économique appliqués dans le champ du travail social, oubliant bien trop souvent que "l'usager est et doit rester le centre des préoccupations".
A moyen terme, il envisage d'exploiter son travail de recherche auprès de cette profession et d’intégrer une structure de formation des travailleurs sociaux, à l'endroit de l'enseignement en sociologie.
* (Vaucluse et Bouches du Rhône)
© Marianne Boiral