Atelier Science et BD : une riche initiation

Publié par Lénaïc Fondrevelle, le 28 juillet 2019   2k

Dans le cadre de la 37e édition du congrès de l'Amcsti 2019, le 4 juillet dernier, nous avons participé à l'atelier "Sciences et BD font bon ménage", inclus dans le parcours "La science en texte". 

L'atelier portait bien son nom, tant il a révélé la puissance et la pertinence de l'outil BD au service de la diffusion et du partage des connaissances et concepts scientifiques. 

Livraison d’un travail de 30 minutes après une initiation de 60 minutes : 


 

Image 1 : Viens petite fille dans mon scientific strip, 

viens faire des bulles, de la phylogénétique, 

des os, des poils, plumes !

Pour cet atelier, l’image 1 est imposée. Il est demandé d’imaginer un scénario en trois images complémentaires pour obtenir un strip de 4 cases.

Le mot « bizarre » dans la bouche de Rond s’adressant à Carré fait émerger une réflexion naturaliste : chaque espèce vivante est une bizarrerie issue d’une longue évolution (SJ Gould, célèbre paléontologue américain et chroniqueur / vulgarisateur hors-pair a parlé de « monstres prometteurs »). 


Toute chose étant égale par ailleurs (heureusement pour la suite de l'exercice, les deux personnages sont très simples à dessiner) seule leur forme distingue ces deux êtres-vivants héros inattendus de bande-dessinée.

Petite mise au point scientifique : la classification met en exergue d’une part les traits partagés par les êtres-vivants (deux yeux, une bouche, quatre membres) et hérités d’un ancêtre commun, et d’autre part les attributs issus de chemins évolutifs divergeants (silhouette ronde ou carrée). Pour un humain, un poisson est « bizarre » car il dispose de nageoires. Pour un ouistiti, un humain est « bizarre » car dressé sur deux pattes.  Du point de vue d’un pigeon, ces poils qui couvrent le corps de nombreux animaux sont vraiment étranges ! Tous ont pourtant un corps constitué de cellules, disposent d’un squelette interne avec crâne et vertèbres, d’une bouche, de deux yeux, etc.

En savoir plus sur la classification phylogénétique, avec divers extraits de BD : 

Carnivores, c'est un ordre !


Image 2 : De l’anthropocentrisme


Le mépris de Rond pour Carré est celui de tout Homo sapiens qui se respecte pour à peu près toute autre espèce vivante. Sorti des chatons, pandas et dauphins, point d’empathie pour les rampants, les gluants, les invisibles, etc. 

Certes, à ce jour, aucune autre espèce vivante n’a envoyé de représentant sur la lune. Certes, « l’homme est une espèce semblable aux autres et différente des autres »  ( SJ Gould à nouveau), mais la science montre aussi que :


- Quelque soit l’espèce vivante actuelle considérée (gorille, crocodile, champignon, laitue, bactérie), il suffit de remonter assez loin dans le passé pour trouver un ancêtre que nous, Homo sapiens, partageons avec cette espèce.

-Le rôle dans les écosystèmes d’espèces considérées comme « insignifiantes » par tout Homo sapiens qui se respecte est parfois (souvent ?!?) fondamental pour le fonctionnement de cet écosystème et donc pour le maintien du confort des sociétés humaines voire leur survie.


Image 3 : « Comme toi* »

Carré se rebiffe : il lui semble qu’il partage de nombreux attributs avec Rond, et il en cite quelques uns. Ceux-ci ont été scientifiquement choisis. Deux yeux et une bouche sont des caractères hérités par nombre d’êtres-vivants, qui forment un groupe dans la classification (en première approximation les bilatériens, on se raccroche à ce que l’on peut de la description de Rond et Carré image 1 imposée…). Au sein des bilatériens, les animaux munis de quatre membres forment le groupe des tétrapodes, tous descendants d’un ancêtre commun unique issu de l’évolution de vertébrés anciens.


* Pour reprendre les codes de l’écrit scientifique, l’auteur a cité ses sources… (Comme toi, Jean-Jacques Goldman, philosophe français du XXe siècle – Quand on n'est pas né.e comme toi, ici et maintenant, on a les références culturelles qu’on peut !).

Notez, à propos de l’exploitation graphique du support BD, l’apparition de la couleur sur Carré.

 

Image 4 : Happy end et invitation au débat

Carré est parvenu à convaincre Rond. Par quelques observations pertinentes et une argumentation scientifique, il semble que le mépris se soit mué en une forme de complicité / solidarité (Gulliver utilise cette stratégie dans le cadre d'interventions "science, citoyenneté, laïcité" en établissements pénitentiaires avec pour support l'évolution du vivant et la paléoanthropologie,  mais c'est une autre histoire)

Au regard de leur ressemblance, Rond et Carré sont probablement assez proches cousins au sens de la classification phylogénétique.


Sur Rond, les caractères partagés avec Carré ont été mis en couleur sur cette dernière image, pour améliorer la compréhension et la lisibilité du concept de caractères communs.

Enfin, les paroles de Rond évoquent non pas un ancêtre commun, mais bien un créateur commun. Il s’agit d’une part de rendre hommage à l’auteur de la BD, le créateur, au sens premier, de ces deux personnages (l’immense Marcel Gotlib, parmi d’autres, établissaient des dialogues parfois croustillants avec ses créations et se mettait parfois en scène parmi elles dans certaines cases. Une mise en abyme graphique et artistique qui peut être mise au service de concepts scientifiques et des réflexions par exemple sociétales ou éthiques induites). Il s’agit aussi de provoquer le débat autour du créationnisme et inviter le lecteur à la réflexion.

 

 En guise de conclusion : science et bande-dessinée, ce que l’on retiendra de cet atelier

 

- Il semble très clair qu’un projet science et bande-dessinée DOIT s’appuyer sur des illustrateurs chevronnés. Les exercices liminaires et les excellents conseils du dessinateur présent ont permis d’utiliser quelques astuces visant à faire comprendre les émotions des personnages (formes des sourcils, de la bouche, des yeux, etc.), mais la faiblesse des talents graphiques de l'auteur reste flagrante. Grand amateur de BD, grâce à cet atelier, nous portons désormais un regard encore plus attentif à ces petits détails qui donnent tout leur jus et leur sens aux dessins et qui révèlent le talent (le génie parfois) de ces artistes.

- Se prêter à l’exercice de la BD fut pour nous une première. Il en ressort que la puissance créative nécessaire et la liberté offerte par le support BD ouvrent des pistes très pertinentes pour la transmission des savoirs et des concepts scientifiques.

C’est bien dans un processus de co-création et de dialogue intime entre le scientifique et le dessinateur, accompagné probablement d’un médiateur scientifique et culturel que le support BD révélera sa pertinence. Les traits des dessins, les couleurs, les dialogues, l’organisation des cases sur la planche, le scénario, etc. TOUT ce qui fait une BD peut être mis au service du partage des savoirs scientifiques.

Cet atelier nous invite donc à penser que certains de ces aspects sont sous-exploités. La phase initiale de dialogue / maturation / co-création doit pouvoir bénéficier d’un temps long. Les compétences graphiques et la connaissance large des codes de la BD doivent influer sur le contenu scientifique. Inversement, l’explicitation des informations et concepts scientifiques, replacés dans un contexte large (histoire des sciences / épistémologie, enjeux sociétaux et éthiques, etc.) doit influer sur le rendu graphique, scénaristique, jeux et effets de couleurs, etc.  

Comme pour tous les projets de culture scientifique art/science, la puissance évocatrice et didactique émergera pleinement de la richesse et la profondeur du dialogue artiste / scientifique. Un accompagnement par un médiateur scientifique et l’inclusion d’un « naïf » (non scientifique et peu connaisseur du monde de la BD) sera un plus pour favoriser ce dialogue et éviter toute forme de facilité et notamment l’écueil de l’entre-soi.  

- A l’heure de la dissémination toujours plus rapide d’infox toujours plus nombreuses, potentiellement au service d’idéologies nauséabondes, tout prétexte ou support permettant de contrecarrer notre "paresse cognitive spontanée" (qui surfe sur nos stéréotypes, nos raisonnements par trop simplistes, etc. et nous oriente inconsciemment sur les pentes naturelles de notre irrationnel) doit être exploité. Pour ce qui concerne nos domaines de prédilections, les sciences du vivant et l'histoire naturelle, certaines formes modernes de créationnismes témoignent du retour d’un obscurantisme rampant et souvent sournois. La bande-dessinée doit contribuer à diversifier les publics de la culture scientifique. A travers un support populaire et abordable, de nouveaux publics doivent bénéficier des lumières de la science et de leurs méthodes invitant au regard critique et à l’hygiène mentale.


 Avec nos remerciements à l'Amcsti et à l'association Stimuli en charge de l'organisation de cet atelier. 


A suivre : 

- 2020, année de la bande-dessinée sous l'égide du Ministère de la Culture

- Sciences en Bulles, à paraître pour la Fête de la Science 2019 : livre réunissant 12 sujets de thèse présentés sous forme de BD, diffusé notamment sur 650 événements de la prochaine Fête de la Science sous l'égide du Ministère de l'Enseignement Supérieur, la Recherche et l'Innovation, en partenariat avec le groupe Sciences pour tous du Syndicat national de l’édition (SNE), le Ministère de la Culture, la Conférence des Présidents d'Université et l'Université de Lorraine. 

 - Professeur Moustache : Marion Montaigne, marraine de la Fête de la Science 2019

 - Invitation : à l'écoute, Comic Strip, Serge Gainsbourg, 1967