Question d'Antoine : « Comment les petites sources peuvent-elles devenir de grands fleuves ? »

Publié par Géoazur - Membre du Réseau Culture Science Sud, le 16 mars 2022   720

Pierre Brigode, Université Côte d’Azur; Carole Petit, Université Côte d’Azur et Vazken Andréassian, Inrae

C’est une bonne remarque : comment est-ce possible qu’il y ait tant d’eau dans les grands fleuves qui naissent pourtant au sommet des montagnes sous la forme de simples petits filets d’eau ?

Descendons le fleuve Var en canoë !

Pour répondre à cette question, je te propose de me suivre. Nous irons à pied puis en canoë, et nous descendrons l’un des plus beaux fleuves de France : le Var. Sa source se trouve sur la commune d’Entraunes, un petit village du massif montagneux du Mercantour, la partie sud des Alpes.

Une fois arrivé à Entraunes, nous n’aurons pas de difficulté à trouver ce tout petit torrent de montagne nommé Var, qui coule vers le sud, direction la mer Méditerranée. On doit attendre quelques secondes pour y remplir notre gourde : autant dire qu’il y a encore peu d’eau ici ! En descendant le cours du Var, on s’aperçoit que d’autres petits torrents de montagne le rejoignent et apportent leur eau. Lentement, presque imperceptiblement, la quantité d’eau qui coule dans le ruisseau augmente.

Cette quantité d’eau qui s’écoule chaque seconde, c’est ce qu’on appelle le débit.

La source du Var à Estenc (Entraunes, Alpes-Maritimes). JYB Devot/Wikimedia, CC BY

Après les premiers kilomètres de descente, on a déjà rencontré plusieurs dizaines de petits torrents, ce qui a sensiblement augmenté le débit du Var. On peut remplir notre gourde plus vite, mais on peut toujours traverser le Var à pied.

Après avoir traversé les belles gorges du Daluis, une rivière presque aussi grosse que le Var le rejoint depuis la rive droite : il s’agit du Coulomp. En additionnant leurs eaux, le Var et le Coulomp forment une rivière plus importante : il faut désormais gonfler le canoë pour continuer notre descente !

En pagayant, nous apercevons d’autres petits torrents qui continuent à grossir le débit du Var, et également de plus grandes rivières : on voit ainsi arriver les eaux du Cians et de la Roudoule, mais surtout de la Tinée, de la Vésubie et de l’Estéron, grandes rivières qui apportent un débit supplémentaire important au Var, qui est désormais devenu un véritable fleuve, au débit considérable. Il faut désormais tenir fermement sa gourde si on veut la remplir ! Notre descente s’achève, car nous arrivons à Nice et allons pouvoir plonger dans la Méditerranée. Le Var n’a plus rien à voir avec sa source, et le débit est à présent beaucoup plus important, il coule dans la mer presque 50 000 litres chaque seconde !

L’union des sources fait les fleuves !

Nous pourrions ainsi descendre toutes les rivières du monde et faire la même observation : plus une rivière s’éloigne de sa source, plus elle est longue, et plus elle transporte d’eau. Son débit augmente tout au long de sa descente. La Seine passe ainsi d’un débit d’à peine un litre par seconde à sa source, à un débit d’environ 300 000 litres par seconde à Paris et à un débit d’environ 500 000 litres par seconde à son embouchure.

Ce que tu dois comprendre, c’est que les rivières n’ont pas une seule et unique source, mais une multitude de petites sources, qui alimentent chacune un affluent. Et les affluents se rejoignent au fur et à mesure. En plus de ces affluents, il y a des sources que tu ne vois pas, parce qu’elles se trouvent le long des berges, cachées sous la végétation. Toutes ces eaux s’additionnent et forment les fleuves. Et finalement, ce n’est pas la source d’un fleuve qui compte, c’est son territoire d’alimentation qui importe réellement : on parle de bassin versant. Le bassin versant est propre à chaque rivière, il regroupe tous les terrains sur lesquels les eaux de pluie et de fonte des neiges s’écoulent pour former des rivières. Plus la rivière est longue, plus son bassin versant est important. À son embouchure, le bassin versant du Var a une superficie d’environ 2 800 km2, alors qu’à Entraunes sa surface n’est que de 50 km2.

On pourrait se demander pourquoi tous les petits affluents se rejoignent progressivement, au lieu de couler chacun de son côté… Lorsque tu renverses de l’eau par terre, tu la vois s’écouler en suivant une certaine direction : c’est la direction où la pente de la surface est la plus forte. Ainsi à la surface de la Terre, toutes les gouttes d’eau qui ruissellent vont naturellement suivre cette direction (qui peut changer en fonction des endroits), sous l’effet de la gravité. De la sorte, les cours d’eau se rejoignent petit à petit et forment des rivières de plus en plus grosses, un peu comme lorsqu’on se précipite tous en voiture sur l’autoroute pour partir en vacances !

Plus il y a de l’eau qui s’écoule et plus la pente est forte, plus les rivières peuvent éroder : elles creusent leur lit et emportent les sédiments arrachés plus loin, vers la mer. Ce faisant, elles creusent dans le bassin versant des « gouttières » de plus en plus larges où va s’écouler la majorité de l’eau. Les bassins versants ont donc ainsi une forme de cuvette : ils sont bordés par des crêtes assez hautes, moins érodées, dominant des pentes qui bordent une « rigole » centrale où s’écoule l’eau : la rivière principale.

Ainsi, l’érosion creuse des bassins versants en forme de cuvette, ce qui incite les petits cours d’eau à se rejoindre et donc à former de grosses rivières qui vont à leur tour creuser le bassin versant, etc.

En résumé, l’« union fait la force » chez les cours d’eau : c’est la somme d’innombrables petites sources qui fait les fleuves !


Diane Rottner, CC BY-NC-ND

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Pierre Brigode, Maître de conférences en hydrologie, Université Côte d’Azur; Carole Petit, Professeur en Sciences de la Terre, Université Côte d’Azur et Vazken Andréassian, Hydrologue, directeur de l’unité de recherche HYCAR, ingénieur en chef des ponts, eaux & forêts, Inrae

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